Bangladesh : démontre qu’aucun dirigeant n’est au-dessus des lois

Un tribunal pénal international du Bangladesh a condamné par contumace l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina à la peine de mort pour crimes contre l’humanité. Le tribunal l’a reconnue coupable d’incitation à la violence, d’ordres de tuer et d’inaction face aux atrocités commises lors de la répression sanglante d’un soulèvement étudiant en 2024.

Hasina nie toutes les accusations portées contre elle, qualifiant la décision du tribunal de « partiale et politiquement motivée ». Dans une déclaration publiée après le verdict, elle a affirmé : « Je n’ai pas peur d’affronter mes accusateurs devant un tribunal compétent où les preuves pourront être examinées et analysées équitablement. »

Hasina a mis au défi le gouvernement intérimaire du Bangladesh de porter ces accusations devant la Cour pénale internationale .

Le jugement du tribunal bangladais s’appuie sur de nombreux éléments de preuve fournis par l’ONU et les organisations internationales de défense des droits humains. Dans un rapport publié en février 2025, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme estimait que jusqu’à 1 400 personnes avaient été tuées durant les trois semaines de troubles. Par ailleurs, 11 700 personnes avaient été arrêtées.

Le rapport conclut que « la grande majorité des personnes tuées et blessées ont été abattues par les forces de sécurité bangladaises » et établit que ces mêmes forces « se sont systématiquement livrées à des violations des droits humains susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité ». Selon les données de l’ONU, jusqu’à 180 enfants auraient été tués lors de cette répression.

Au cours des troubles, Human Rights Watch (HRW) a noté que le gouvernement bangladais avait « déployé l’armée contre les étudiants manifestants, imposé des ordres de couvre-feu autorisant à tirer à vue et coupé les services de données mobiles et d’internet ».

Le rapport de l’ONU conclut que les violences perpétrées contre les manifestants au Bangladesh « ont été menées de manière coordonnée par les services de sécurité et de renseignement ». Il documente des cas où « les forces de sécurité ont procédé à des exécutions sommaires en abattant délibérément à bout portant des manifestants non armés ».

Human Rights Watch a documenté des schémas similaires. Dans un rapport de janvier 2025 , l’organisation a déclaré que « plus de 1 000 personnes ont été tuées et des milliers blessées en raison de l’utilisation excessive et indiscriminée de munitions ». Ces conclusions ont été reprises par Amnesty International, qui a recensé l’utilisation de munitions réelles contre des manifestants et des mauvais traitements infligés aux détenus.

Le verdict du tribunal reconnaît la culpabilité des responsables pour avoir constaté une action concertée de plusieurs branches de l’appareil sécuritaire et pour leur inaction face à l’escalade des violations des droits humains. Les juges ont déclaré que les personnes en position d’autorité étaient censées empêcher de tels abus, or la violence a persisté malgré leur capacité à y mettre un terme.

Pour de nombreuses familles, la décision du tribunal constitue la première reconnaissance officielle de leur deuil. Des témoignages recueillis par les enquêteurs de l’ONU décrivent des parents passant des jours à chercher leurs enfants dans les hôpitaux et les commissariats, se voyant souvent répondre que les dossiers étaient introuvables. L’ONU a signalé que le personnel hospitalier subissait des pressions de la part des forces de sécurité pour falsifier ou supprimer les actes de décès.

Meenakshi Ganguly, directrice adjointe pour l’Asie chez HRW, a déclaré au moment des troubles : « Le Bangladesh est en proie à des troubles depuis longtemps en raison des exactions commises sans restriction par les forces de sécurité contre toute personne s’opposant au gouvernement de Sheikh Hasina. »

Hasina a remporté un quatrième mandat consécutif de Première ministre en 2024, à l’issue d’une élection que le principal parti d’opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), a qualifiée de mascarade. Ce parti a boycotté le scrutin après que plusieurs de ses dirigeants clés ont été contraints à l’exil ou emprisonnés avant le vote.

Sous la présidence d’Hasina, les forces de sécurité bangladaises bénéficiaient d’une grande latitude d’action. Cela concernait notamment le Bataillon d’action rapide (RAB), une force paramilitaire sanctionnée par le Trésor américain en décembre 2021 pour « graves violations des droits humains ». Des organisations de la société civile ont documenté les pressions exercées sur les militants avant les troubles de 2024, tandis que les journalistes étaient victimes de harcèlement.

Prochaines étapes

Ce verdict intervient à un moment crucial pour le gouvernement intérimaire dirigé par Muhammad Yunus, qui s’est engagé à rétablir l’état de droit au Bangladesh et à regagner la confiance du public. L’une des questions épineuses qui se posera à son administration sera de savoir si elle parviendra à obtenir l’extradition de Hasina.

Le Hindustan Times rapporte que le gouvernement bangladais a déjà écrit à l’Inde, où Hasina vit en exil depuis son éviction du pouvoir, pour demander son extradition.

L’extradition d’Hasina est loin d’être acquise. L’Inde peut refuser la demande du gouvernement bangladais si elle estime que les accusations portées contre Hasina sont de nature politique. Delhi a d’ailleurs réagi avec prudence à cette demande, affirmant être « attachée aux intérêts supérieurs du peuple bangladais ».

La pression exercée sur l’Inde pour obtenir l’extradition d’Hasina devrait s’intensifier. La gravité des accusations – fondées sur des conclusions de l’ONU suggérant que les violences, et le rôle d’Hasina dans celles-ci, pourraient constituer des crimes contre l’humanité – confère une dimension internationale susceptible d’influencer les décisions futures.

Un autre défi pour le gouvernement intérimaire du Bangladesh est la perspective de nouvelles violences. Reuters a rapporté des affrontements entre partisans d’Hasina et forces de sécurité dans certains quartiers de la capitale, Dacca, et dans la ville portuaire de Chattogram, dans les jours précédant le verdict. Après le prononcé du jugement, la police bangladaise a dispersé des manifestants qui marchaient vers les sièges du parti à Dacca.

Le fils d’Hasina, Sajeeb Wazed Joy, a également averti publiquement que les partisans de la Ligue Awami, le parti de sa mère, bloqueraient les élections nationales prévues en février 2026 si l’interdiction du parti par le gouvernement était maintenue. Le climat politique du pays demeure fragile, les poursuites judiciaires contre l’ancien gouvernement d’Hasina étant toujours en cours.

Le verdict du tribunal établit officiellement que la force létale a été utilisée de manière contraire au droit international, que les violations étaient généralisées et que l’État en porte la responsabilité.

La suite des événements – nouvelles poursuites, réforme du secteur de la sécurité ou démarches en faveur de l’extradition – reste incertaine. Mais les prochaines étapes doivent impérativement garantir la continuité de la justice.

Shahzad Uddin

Directeur du Centre pour la responsabilité et le développement mondial, Université d’Essex

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